Association québécoise des critiques de cinéma
« JACQUES ET NOVEMBRE » ET « L’AMOUR À MORT »
La mort apprivoisée
par Luc PERREAULT
Photo : La Presse
Un jeune homme va mourir. Il ne lui reste plus qu’un mois à vivre. Il décide de l’employer à tourner son journal. Sur vidéo et avec l’aide d’un camarade, celui-ci équipé d’une caméra 16 mm. Voilà, en gros, le sujet très simple de Jacques et novembre.
Comment se fait-il que ce film, tourné dans des conditions fort précaires réussit à faire passer son message? C’est peut-être justement parce qu’il n’affiche pas des moyens considérables qu’il réussit à provoquer un tel sentiment d’urgence et une telle charge d’authenticité. Il y a ici une adéquation parfaite entre le fond et la forme.
D’abord, cette caméra vidéo placée en face de Jacques. À travers son objectif, se dissimule l’œil du spectateur. Celui-ci devient le témoin privilégié de sa maladie (laquelle ne sera d’ailleurs jamais clairement établie). Quand il se confie à la caméra — par exemple pendant cette scène d’un comique irrésistible où il calcule son emploi du temps depuis qu’il est au monde —, Jacques se parle à lui-même mais en même temps, il cherche à communiquer avec les autres. La caméra devient ainsi un instrument privilégié de communication dans ses mains. Elle lui permet d’exprimer ce qu’il a de plus intime (sa douleur, par exemple) et de transmettre aux autres ce que fut sa vie, ce qu’est sa maladie.
Jacques et novembre n’est pas un film déprimant sur la mort. C’est au contraire un film stimulant sur la vie. Jacques est habité par le besoin d’éclaircir tout ce qui était jusqu’ici resté à demi conscient dans son esprit. Il avoue à son père qu’il l’aime et il le force à faire le même aveu. Il analyse les motifs qui ont abouti à l’échec de sa relation avec son ancienne compagne. « Au début, dira-t-il, j’avais l’impression d’être dans un bain chaud. Mais, petit à petit, l’eau du bain s’est refroidie. » L’image est cruelle mais combien juste aussi.
D’autres images possèdent la même intensité. Celle de l’arbre auquel s’identifie Jacques et que la caméra va retrouver dans les plis et les poils de son abdomen. Pourquoi mourir à 30 ans quand un arbre vit encore après 150 ans? Et si l’on pouvait sentir, comme un arbre, ses racines plonger dans la terre? Un cactus pousse lentement aussi. Jacques en possède plusieurs dans son appartement qu’il continue à arroser soigneusement. Et qui lui survivront. Comme lui survivra son journal, témoignage de ce qu’il fut. Ni héros ni martyr. Mais un homme, et admirable en plus.
*
Jacques et novembre s’arrête au seuil de la mort. On ne verra pas l’image tragique de Jacques en train de faire le grand saut. Le personnage du film d’Alain Resnais, lui, meurt dans la première séquence. Pour ressusciter presque aussitôt. Un cas rarissime. Un de ceux qui ont suscité récemment toute une littérature sur la vie après la mort.
Y a-t-il une vie après la mort? Voilà une bonne question à se poser. Les religions y répondent par l’affirmative. Mais il faut avoir la foi pour y adhérer. Alain Resnais, avec l’aide de Jean Gruault, son scénariste attitré depuis Mon oncle d’Amérique, veut poser le problème en dehors du cadre habituel de la religion. Existe-t-il un au-delà laïc? se demande Resnais. Toute la démarche d’Élisabeth, personnage central de ce film, est basée sur cette hypothèse.
Simon est agnostique, de même qu’Élisabeth, sa maîtresse. Ils s’aiment. Ils ont le sentiment qu’ils ne pourront jamais en cette vie connaître un plus grand bonheur que ce qu’il ont déjà vécu. Aussi, au moment où Simon s’apprête à expirer définitivement, Élisabeth lui fait-elle la promesse de le suivre dans l’au-delà. « Ma religion, c’est Simon », dira-t-elle à ses amis pasteurs.
Le débat intérieur qui s’engage alors dans la tête d’Élisabeth suit une logique implacable. Si l’au-delà existe, comme Simon a pu l’entrevoir lors de sa première « mort », c’est donc que la vie n’est qu’un passage, une rivière à traverser. Le suicide, dans ce contexte, devient un geste non pas de désespoir mais d’amour. Accomplir ce geste, pour Élisabeth, équivaut à adresser à Simon un signe de fidélité.
De même que Jacques et novembre se veut un film d’espoir, L’Amour à mort représente, dans un autre contexte, une œuvre optimiste. Ces films, chacun à leur façon, tentent d’apprivoiser la mort. Le premier en montrant que chaque vie trouve un prolongement ici bas. L’autre en soutenant que la mort n’est peut-être pas la fin de tout mais un commencement.
D’ailleurs, en ponctuant chaque séquence d’un intervalle en noir parsemé de mystérieuses taches blanches, Resnais a peut-être voulu donner au spectateur l’espace suffisant pour le laisser imaginer cet au-delà qui ne serait ni un paradis ni un enfer. Sabine Azéma, vêtue de rouge, face à Pierre Arditi, vêtu de noir, incarnent les deux thèmes majeurs du film : la passion face à la mort. Ce sont également les couleurs de l’anarchie et de la révolution. Deux couleurs qui conviennent admirablement à Resnais.
JACQUES ET NOVEMBRE, de Jean Beaudry et Francois Bouvier, à L’Autre Cinéma.
L’AMOUR À MORT, d’Alain Resnais, à l’Outremont (à L’Autre Cinéma, à compter du 23).
La Presse, samedi 10 novembre 1984, p. E14 (voir PDF)
© La Presse, 1984
Composition du conseil d'administration de l'AQCC, tel que choisi lors de l'Assemblée générale annuelle du 26 janvier 2022.
L'AQCC compte une soixantaine de membres représentant une vingtaine de médias différents.
Radio, internet, imprimé ou télévision, à l'AQCC, tous les types de médias sont représentés.