Association québécoise des critiques de cinéma
Quand Etienne Brûlé passe pour un héros
par Luc PERREAULT
L’Outremont présentait mardi un vieux film québécois oublié, Étienne Brûlé, gibier de potence. Film oublié et qui mérite de le rester pour plusieurs raisons. Un communiqué du Conseil québécois pour la diffusion du cinéma qui avait organisé cette soirée-rencontre en mentionne quelques-unes: « absence de héros positif de premier plan, jeu ampoulé de Jacques Auger, faiblesse de la construction dramatique... » Ce fut un échec commercial au moment de son lancement en septembre 1952.
Les rares spectateurs qui s’étaient déplacés pour voir Étienne Brûlé de même qu’un court métrage de Denys Arcand sur un sujet très voisin, Champlain, ont eu droit à un intéressant débat sur la place qu’occupe l’histoire particulièrement dans le cinéma québécois.
La soirée avait débuté par une présentation du film et deux points de vue sur la conservation des vieux films. Pierre Véronneau. de la Cinémathèque québécoise, a fort bien posé le problème de la conservation dans le contexte de nos sociétés occidentales: le cinéma étant d’abord une industrie, les capitalistes qui contrôlent la distribution des films perdent tout intérêt pour les copies des films dès que ces derniers ont terminé leur carrière commerciale. Ils les laissent se détériorer et vont même jusqu’à détruire ces copies. Les archives de films interviennent alors dans une mission de conservation.
D. John Turner, des Archives nationales du film qui ont pu récupérer les originaux d’Étienne Brûlé, a expliqué qu’ils avaient été retrouvés dans une voûte à Hollywood. C’est en faisant référence à ce film que le président de France Film, M. Georges Alpin, m’avait confié cet été que les ayants droit avaient un jour exigé qu’on leur retourne tous les éléments de tirage afin d’avoir le plaisir de les brûler eux-mêmes. Il faut donc en conclure qu’ils n’avaient pas mis leur menace à exécution.
Pendant le débat qui a suivi la projection, on a pu apprendre du père Émile Legault. qui figure au générique comme assistant metteur en scène, qu’il n’avait rien eu à voir avec la rédaction du scénario et la direction des comédiens.
« Mon rôle, devait-il déclarer, a consisté à servir de tampon entre les frères Turner qui ont produit et dirigé le film, et Paul Dupuis, l’interprète du rôle-titre et grande vedette du cinéma québécois d’alors. »
Plusieurs ont vu dans le personnage d’Étienne Brûlé un héros possible. C’était notamment l’avis du représentant des Indiens du Québec. M. Aurélien Gill.
De son coté, le cinéaste Denis Héroux qui est également historien a déclaré que les Québécois n’avaient jamais réussi à retrouver à l’égard de notre histoire le sens de l’épopée. Faisait-il allusion à l’échec de Quelques arpents de neige lorsqu’il disait: « À partir du moment où l’on regarde l’histoire avec un esprit critique, on n’est pas capable de traduire l’esprit épique »?
Un dernier invité, professeur d’histoire à l’UQAM, M. Robert Comeau, a préconisé une nouvelle interprétation de l’histoire qui, plutôt que de privilégier le point de vue de la bourgeoisie, adopterait plutôt celui de la classe ouvrière. Traduite à l’écran, cette interprétation donnerait un cinéma qui, à l’égard de l’histoire, s’intéresserait moins aux grands hommes qu’au monde ordinaire.
Le CQDC à l’œuvre
Autre initiative du CQDC: une tournée à travers certaines petites localités de la région de Joliette d’un film sur un artisan de Saint-Charles de Mandeville et qui a pour litre Mon bout du monde. Ce court métrage raconte comment M. William Paquin en est arrivé à produire de l’artisanat sur son coin de terre peu fertile du comté de Berthier.
J’ai assisté à la première de cette tournée à Saint-Charles, lundi soir, dans une petite école remplie à pleine capacité par les gens de la place qui s’étaient déplacés pour voir leur concitoyen et parler d’artisanat. Le réalisateur Bruno Carrière et l’animateur Michel Forget ont obtenu une très bonne collaboration du public et une des conclusions qui semblait se dégager des discussions pourrait être celle-ci: l’artisanat mérite d’être encouragé à la condition qu’on crée sur place les moyens de diffuser les travaux de nos artisans.
Après Saint-Charles. Saint-Michel des Saints et Saint-Gabriel de Brandon cette semaine, Mon bout du monde se rendra à Sainte-Émélie-de-l’Énergie mardi, Sainte-Marceline jeudi, puis Saint-Félix de Valois le 2 décembre et, enfin, Joliette le 4.
Pour terminer avec les activités du CQDC (décidément très actif cet automne et, me semble-t-il, mieux organisé), mentionnons la prochaine soirée-rencontre de l’Outremont, mardi prochain. On y présentera le long métrage Chili, terre promise du Chilien Miguel Littin et un court métrage québécois Main basse sur le Cameroun. Ce documentaire de 23 minutes s’inspire du livre de l’écrivain camerounais Mongo Beti, exilé politique en France, et relate l’historique du colonialisme français et anglais au Cameroun. Au cours du débat qui suivra, on posera la question suivante: que fait le clergé canadien au Cameroun, cardinal Léger?
Les invités seront: Léandre Bergeron. éditeur, Claude-Guy Pilon, ex-coopérant, Manuel Aranjuiez, comédien et scénariste chilien, et Gérard Lechêne, du groupe Informaction. Incidemment, 1 500 exemplaires de l’édition québécoise du livre de Béti viennent d’être saisis par la police française.
Les rushes
Le tournage de Parlez-nous d’amour qui devait débuter le 10 novembre dernier a dû être reporté au 19 janvier. La cause: le directeur de la photo, René Verzier, a faussé compagnie à l’équipe de tournage quelques jours avant la date du premier tour de manivelle, entraînant avec lui ses assistants et les machinistes-électriciens. Il a préféré travailler sur une production américaine qui doit débuter à Montréal le 15 décembre et qui serait en bonne partie financée par Cinevidéo et l’homme d’affaires Harold Greenberg. Verzier avait, dit-on, donné sa parole à Jean-Claude Lord qui s’est retrouvé sans directeur de photo à un moment où il devenait très onéreux d’interrompre le tournage. Les productions Mutuelles songent à lui intenter une poursuite. Entre-temps, les contrats seront signés lundi à la SDICC et on s’apprête à choisir un remplaçant à Verzier, personne n’étant disponible en novembre pour le remplacer au pied levé.
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Plusieurs cinéastes québécois ont été mis en vedette celle semaine. Ce fut lundi la remise du Prix Victor-Morin à Michel Brault puis l’annonce de la remise lundi prochain du Prix de la critique québécoise à Arthur Lamothe. Hier, Norman McLaren a reçu le prix Annie Award que lui a décerné l’International Animated Film Society, de Hollywood. Enfin une production de l’OFQ, Des corps et du cœur, réalisée par Jean Lepage, vient de recevoir la Médaille d’or, la plus haute distinction dans la catégorie courts métrages au 8e Festival international du film des Iles Vierges.
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Une Semaine du vidéo politique se déroulera à Montréal du 24 au 28 novembre. Cinéma des pauvres, télévision des chômeurs, le vidéo est vite devenu un moyen de contestation qui transmet de notre réalité une image souvent aux antipodes de celle que véhiculent les médias officiels. Une trentaine de vidéos produits au Québec ces dernières années par des individus ou des groupes circuleront pendant cette Semaine dans cinq salles. Ce sont: le Vidéographe (1604, Saint-Denis), l’Université Settlement (3553. Saint-Urbain), l’UQAM (pavillon Read, La Gauchetière et Saint-Alexandre), la taverne Pivar (sur la rue Sainte-Catherine) et la Grande passe (angle Saint-Denis et Ontario).
La Presse, vendredi 21 novembre 1975, p. P9
© La Presse, 1975
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