Les trois membres de notre jury AQCC de la critique québécoise 2024 à la dernière édition de REGARD reviennent sur leurs coups de cœur parmi les courts métrages vus durant leur séjour à Saguenay.
Des rêves en bateaux papiers de Samuel Suffren (Haïti, 2024)
En provenance d’Haïti nous vient le très beau Des rêves en bateaux papiers, où l’on aborde l’immigration par la rare perspective de ceux qui restent derrière. Ici, le dépaysement et le choc culturel font place à la galère de tous les jours qui continue, rendue juste un peu plus difficile par le départ de l’être cher qui n’est plus là pour partager les joies et les peines du quotidien. Signant un film sur la tendresse et le désir d’un père dont l’épouse est partie chercher une vie meilleure dans un voyage périlleux, le réalisateur Samuel Suffren parvient à nous faire sentir le poids du temps qui passe en l’espace d’à peine 20 minutes. L’absence et la présence sont habilement incarnées dans le film par une cassette audio que la femme a envoyée à son mari et sa fille, objet qui devient un symbole fétichisé d’espoir tout d’abord, puis de désillusion et de deuil à mesure que les années passent. Un montage économique et poétique combiné à une superbe photographie noir et blanc où s’affirme l’œil mélancolique du réalisateur nous raconte cette histoire toute en subjectivité, où priment des points de vue trop rares sur nos écrans : une perspective masculine et paternelle d’une grande tendresse, une image renversée de l’immigration, et enfin — ce qui fait la force d’un festival international comme REGARD — un rarissime film haïtien dont le désir de cinéma crève l’écran. Tournant dans un pays aux conditions économiques parmi les plus difficiles au monde, Suffren nous livre un des plus beaux films de la compétition et nous permet de rêver à ce que serait un cinéma d’auteur haïtien libre, audacieux et affirmé.
- Mathieu Bédard
Bust d’Angalis Field (États-Unis, 2023)
Coup de cœur personnel pour le redoutablement efficace Bust. Dès les premières images au grain texturé, un sentiment de nostalgie émane de cette œuvre, évoquant les meilleurs films policiers new-yorkais des années 1970. Angalis Field insuffle une touche de modernité indéniable à son histoire, ancrant son thriller tendu dans l’univers LGBTQ+. La rencontre poignante entre deux protagonistes trans, issus de milieux opposés face à la loi, nous prend aux tripes. Rapidement, on s’attache aux personnages, ce qui rend la finale bouleversante, quoique cruellement prévisible, et d’autant plus percutante.
- Jules Couturier
Oyu d’Atsushi Hirai (Japon, 2023)
Atsushi Hirai, réalisateur japonais qu’on connaît d’abord comme l’assistant de Damien Manivel, réalise un véritable tour de force avec ce court métrage en alliant grâce, beauté et sensibilité. Oyu est une œuvre trouée de silences, qui mise sur le pouvoir de la suggestion pour nous raconter, à demi-mot, l’histoire d’un deuil. La poésie du geste, la maîtrise des plans et la sobriété du scénario donnent une grande puissance à ce récit.
- Sarah-Louise Pelletier-Morin