Ralph Elawani

Photo : Lou Scamble

Ralph   Elawani est l’auteur d’une biographie du romancier et cinéaste Emmanuel Cocke (C’est complet au royaume des morts, 2014), d’un essai sur la contre-culture au Québec (Les marges détachables, 2014) et du recueil de poésie Tout ce que la police ne sait pas (2025). Depuis une douzaine d’années, il a signé quelques centaines de portraits et d’articles dans la presse spécialisée et les grands médias, ainsi qu’une dizaine de chapitres dans divers ouvrages collectifs (Bleu nuit : histoire d’une cinéphilie nocturne ; Satanic Panic : Pop-cultural paranoia in the 1980s ; L’ère-seconde ; Mythologies québécoises ; Yuletide Terror, etc.). En 2019, il a fondé les collections NITRATE et FILMÉCRITURE aux éditions Somme toute, où il a édité, jusqu’en 2025, des livres parmi lesquels on compte les Scénarios refusés de Robert Morin, une édition critique des Ordres de Michel Brault dirigée par Gabrielle Tremblay, une histoire du FLQ au cinéma québécois par Sylvain Garel, l’essai Des forêts du cinéma de Marie-Claude Loiselle, le scénario du film Les chambres rouges de Pascal Plante et la monographie XPQ : traversée du cinéma expérimental québécois, qu’il a codirigé avec Guillaume Lafleur.

Quel est votre premier film marquant?
Le premier film qui m’a dérangé, au sens littéral de « me sortir d’où j’étais rangé », a été The Devils, de Ken Russell. Je l’ai vu à la télévision, à l’âge de 10 ou 11 ans, à peu près au même moment où j’ai aussi vu, par accident, Le tambour de Volker Schlöndorff et Quiconque meurt, meurt à douleur, de Robert Morin. Kanesatake : 270 ans de résistance, d’Alanis Obomsawin, occupe aussi une place spéciale dans mon imaginaire, car il s’agit du premier film que mon père s’est procuré en VHS par commande postale. Il trônait dans une armoire qui m’était inaccessible. Je crois qu’il s’agit d’une fascination similaire à celle que j’éprouvais devant les films d’horreur ou la section pour adultes des clubs vidéo. Enfant, lorsque tu aperçois des boîtiers aux images choquantes – comme celui de Faces of Death, par exemple – quelque chose te dit que tu es à la fois au bon et au mauvais endroit.

Quelle est votre première critique publiée?
Autour de 4 ou 5 ans, sur la terrasse Dufferin, j’ai dit à une journaliste de Radio-Canada, en direct, que la fête du Canada était « b’en l’fun ». 

Quel est le rôle du critique de cinéma, selon vous?
Son rôle fondamental est de rendre visible ce qui ne l’est pas. D’ouvrir une brèche. Aimer ou ne pas aimer, tomber dans le versant émotif, tout le monde peut faire ça. Faire de la critique revient à recevoir quelque chose de très vaste, de condenser cette chose et de la redonner afin de la personne qui vous lira éprouve un sentiment analogue. Si l’on pouvait résumer le tout typographiquement, cela aurait sans doute l’air de ceci : >-<

Quel est votre rituel d’écriture?
Je trouve que l’écriture, en général, est assez souffrante. Le travail de l’intellectuel est de ralentir la course du monde. Combinez ces deux idées et la pratique relève du masochisme. Dans les meilleurs moments, on apprend de cette douleur. Un jour, avec la distance, on la regrette même un peu.

Qui est votre critique ou théoricien de cinéma préféré?
La personne qui a eu le plus d’influence sur ma vision du cinéma, lorsque j’ai commencé à m’y intéresser de manière plus approfondie, est sans doute Kier-La Janisse. Elle a exercé une influence directe sur moi. Nous avons travaillé ensemble, nous nous sommes disputés, nous avons ri. C’est une femme brillante qui a des goûts très précis, une intelligence caustique et des obsessions parfois inquiétantes, qu’elle a documentées dans son livre House of Psychotic Women. Sinon, j’aime beaucoup J. Hoberman. Il y a aussi Amos Vogel, dont le livre Film as a Subversive Art m’a grandement servi, lorsque je rédigeais ma maîtrise. Mes lectures, au fil des ans, n’ont pas été animées par une rigidité théorique particulière : j’apprécie autant Jean-Patrick Manchette que Nicole Brenez, Pasolini ou Mark Fischer. J’aime la théorie lorsqu’elle sert réellement : lorsqu’elle vous permet, dans un souper de famille ou lors d’une rencontre quelconque, de faire valoir une œuvre ou une cinématographie, un peu comme si vous aviez à défendre un choix d’assemblage ou de quincaillerie en ébénisterie – sans que cela vous place dans l’esbroufe. Au mieux, elle permet de vous faire disparaître derrière l’argument, afin que la personne avec qui vous discutez sente que l’on fait appel à son intelligence. J’aime beaucoup les gens qui réussissent à créer à partir de l’œuvre des autres. Je suis un amateur d’exofictions en littérature. 

Dans quel film aimeriez-vous vivre?
Downtown 81pour la musique d’ambiance, Rock n Roll High School pour l’enthousiasme, The Fountainhead pour les fenêtres du salon, The Graduate pour le bar, les Jetsons pour la voiture et la série Lancelot Link pour la bonne compagnie.

Quel cinéaste voudriez-vous inviter au cinéma?
J’ai été assis durant 3h à côté de Kenneth Anger, sans m’en rendre compte, à l’American Cinematheque, lors d’un programme double Carnival of Souls et Freaks, il y a une quinzaine d’années. J’ai aussi eu l’occasion de fumer du jute avec un réalisateur de films d’horreur célèbre, aussi scénariste, à qui l’on a un jour remis des centaines de milliers de dollars pour qu’il écrive une suite (je ne sais plus laquelle) à L’histoire sans fin. Je peux dormir du sommeil des justes.

5 films internationaux préférés : 

  • Ali, fear eats the soul, de Rainer Werner Fassbinder
  • Un singe en hiver, de René Verneuil
  • Zabriskie Pointde Michelangelo Antonioni
  • Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, d’Alain Tanner
  • TeoremaPier Paolo Pasolini


Mentions honorables:

  • The Decline of Western Civilization, de Penelope Spherris
  • Wild at Heart, de David Lynch
  • Good Morning, de Yasujiro Ozu
  • Hardcore, de Paul Schrader
  • The House is Black, de Forugh Farrokhza
  • F for Fake, d’Orson Welles
  • L’argent, de Robert Bresson
  • Werckmeister harmóniák, de Bela Tarr
  • Japón, de Carlos Reygadas
  • An Angel at my Table, de Jane Campion


5 films québécois préférés :

  • L’eau chaude, l’eau frette, d’André Forcier
  • Le Bonhomme, de Pierre Maheu
  • La mort d’un bûcheron, de Gilles Carle
  • Gina, de Denys Arcand
  • Yes Sir! Madame, de Robert Morin


Mentions honorables :

  • La cuisine rouge, de Paule Baillargeon et Frédérique Collin
  • Jusqu’au cœur, de Jean Pierre Lefebvre
  • Mais où êtes-vous donc…, de Gilles Groulx
  • Carcasses, de Denis Côté
  • De mère en fille, d’Anne-Claire Poirier
  • Cap d’Espoir,de Jacques Leduc
  • Le p’tit Jésus, d’André-Line Beauparlant
  • Le temps des bouffons,de Pierre Falardeau
  • Bad Blood for the Vampyr, de Lysanne Thibodeau
  • Oncle Bernard, l’anti-leçon d’économie, Richard Brousseau

search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close