Association québécoise des critiques de cinéma
En 2007, le premier film de Stéphane Lafleur a soufflé de l’air frais. Au rythme d’une brise, plutôt que d’une tornade : Continental, un film sans fusil s’apprécie un plan fixe à la fois. Épuré, sans artifices ni excès, exempt de brusques raccords ou de vifs mouvements de caméra, il détonne cependant non pas par sa lenteur que par sa quasi-absence de récit. Cette fiction qualifiée d’oeuvre minimaliste se construit sur une succession de plans-séquences, enfilade de scènes basées sur l’observation du monde.
Sans véritable fil narratif, Continental, un film sans fusil figure dans une case à part. À l’époque de sa sortie, le Québec salue ses grands succès, comédies ou drames, tel Bon Cop Bad Cop ou C.R.A.Z.Y. Le cinéma québécois et son public se sont, disait-on, retrouvés. Même au niveau du cinéma d’auteur, Continental danse seul. Bernard Émond est au deuxième pan de sa trilogie théologale – Contre toute espérance –, alors que Denis Côté n’a livré que Les états nordiques, premier long d’une riche filmographie à venir. Oui, ils ont des similitudes avec Stéphane Lafleur, au niveau des dialogues (rares) ou de l’approche contemplative. Chez Émond et Côté, toutefois, la rigueur esthétique n’exclut pas la montée dramatique.
Avec Lafleur, on est dans la monochromie, chaque clip équivalant à un autre, à la manière de Songs from the Second Floor, du Suédois Roy Andersson, une coche surréaliste en moins. Monochromie, non monotonie: l’absurdité des scènes donne du relief à l’ensemble. On rit sans peine.
Continental, un film sans fusil? L’étrange titre l’exprime : voici un film sans violence, sans point tournant. Plutôt qu’un récit unique, de multiples pistes. Oeuvre chorale construite en chassé-croisé, Continental... suit quatre personnages dans leur train-train quotidien. Quatre portraits, quatre solitudes. S’il y a bien drame – notamment la disparition d’un homme –, il est présenté comme un fait ordinaire qui n’inquiète pas la police. On est dans la banalité de l’existence.
Ni héros ni malfaiteurs, que des êtres avec des bobos. L’un se cherche un emploi, ou une occupation, un autre de l’argent, ou un but, qui sait? On combat l’ennui, sans plus. On se complaît d’un rien.
Dans la ville quelconque où il plante son décor, Stéphane Lafleur met en scène un point de convergence, une « attraction touristique », comme dirait Richard Desjardins : un hôtel. Sans être central – ni le cul-de-sac de Kubrick –, celui-ci est le lieu des solitudes, espace de transition par excellence, où l’on finit par côtoyer une autre âme.
Cet âpre portrait de société est empreint d’humanisme. Le parti pris pour la lenteur n’est pas seulement écho d’ennui ou de lassitude. Il s’offre en contrepoids à la haute vitesse d’une civilisation productiviste. Dans leur isolement, ou leur incapacité à communiquer, les personnages font preuve de débrouillardise avec des moyens rudimentaires et surannés. Le téléphone, avec son fil bien présent et sa machine-répondeur, apparaît comme leur dernier cordon ombilical. Une fois coupé, ils fuiront, la nuit, dans le bois. Qui s’en souciera?
Continental, un film sans fusil a récolté son lot de Jutra. La distribution a aussi grandement été saluée, notamment Réal Bossé et Fanny Malette. La prestation de Gilbert Sicotte, elle, annonçait celle qui le consacrerait dans Le Vendeur (2011), de Sébastien Pilote.
Ce dossier-hommage sera alimenté au fil des semaines à venir par la mise en ligne progressive des témoignages énumérés ci‑dessous et par l’ajout d’articles de et sur Luc Perreault ainsi que de la liste des films ayant marqué sa vie.
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