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Association québécoise des critiques de cinéma

Hommage à Luc Perreault : RENDEZ-VOUS D’AUTOMNE - Sortir du bois

RENDEZ-VOUS D’AUTOMNE
Sortir du bois

par Luc PERREAULT

 

Photo : La Presse

 

Le cinéma québécois serait-il enfin en train de sortir du bois? La question me paraît pertinente à un moment où tous les espoirs reposent sur un projet de refonte de la loi du cinéma. On ne peut évidemment pas préjuger de ce qu’accouchera un gouvernement qui, jusqu’ici, n’a guère brillé par son imagination dans le domaine culturel. Tout s’est passé comme si l’appui presque inconditionnel des artistes, des créateurs et des cinéastes au gouvernement péquiste l’avait incité à se tourner vers d’autres priorités. Objectivement, étant donné le contexte actuel, on pourrait difficilement lui donner tort.

Mais il règne actuellement, en particulier chez les cinéastes, une atmosphère d’impatience annonciatrice des grands règlements de compte. Longtemps différée, la confrontation risque bientôt de se produire. J’en connais, parmi les plus militants d’hier, qui rongent leur frein face à ce gouvernement d’anciens chums mais qui résistent de moins en moins à l’idée de les passer au cash, pour reprendre une de leurs expressions favorites.

Plus prosaïquement, il existe un exercice à la portée des cinéphiles (et des critiques) qui permet d’embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble de la production cinématographique québécoise et d’en tirer des conclusions sur son orientation générale. Cet exercice annuel était facilité dans le passé par la tenue de la Semaine du cinéma québécois. Celle-ci étant disparue pour diverses raisons (dont une propension naturelle au Québec pour la mégalomanie), on a vu apparaître cette année un rejeton de la Semaine: les Rendez-vous d’automne du cinéma québécois.

S’il existait un tel prix, il faudrait décerner à ces Rendez-vous le prix de la manifestation la plus modeste de l’année. Tout s’est déroulé en cinq jours (la durée idéale pour une activité de ce genre) dans le cadre confortable et accueillant de la Cinémathèque québécoise où l’on avait même prévu un comptoir de rafraîchissements. Quand le film était raté, on pouvait au moins se reprendre avec un délicieux gâteau aux carottes!

La grande révélation de ces Rendez-vous d’automne tient dans une sélection qui réunissait à la fois les grands noms et les nouvelles figures, des films de tous formats, fiction ou documentaire (parfois un mélange des deux), un dosage particulièrement réussi de primeurs et de reprises choisies parmi les productions les plus intéressantes des deux dernières années.

Côté fiction, le cru 1982 ne manque pas de qualités. J’ai déjà souligné les mérites du nouveau Lefebvre, Les Fleurs sauvages, La Quarantaine d’Anne-Claire Poirier ne m’a pas laissé indifférent comme on peut le lire dans une autre page de ce cahier. Les autres longs métrages dramatiques présentés au cours de la manifestation ont également suscité de vives réactions. Claude Gagnon semble bien avoir tenu le pari difficile qu’il s’était donné avec Larose, Pierrot et la Luce. Le thriller d’Yves Simoneau, Les Yeux rouges, son premier long métrage dénote un talent évident même si tout le monde était loin d’en reconnaître les vertus. Quant à Contrecœur, de Jean-Guy Noël, ce fut à mon sens la plus grande déception de ces Rendez-vous. Voilà un film qui s’embourbe maladroitement, au propre et au figuré, dans une tempête de neige et qui n’arrive jamais à s’en sortir. On pourrait en dire autant du film de Michel Audy, déjà présenté au Festival des films du monde, Luc ou la part des choses, lourd et trop didactique.

S’il est un domaine qui fait preuve actuellement d’une vitalité impressionnante, c’est bien le court métrage dramatique. Gagnant du Prix de la critique, Les Bleus... la nuit a révélé un nouveau talent: Daniel Rancourt. Voilà enfin mis en scène des personnages actuels, d’une justesse et d’une originalité remarquables. À partir des vagabondages d’un jeune bleuet d’Alma, coincé à Montréal pendant une nuit pour avoir raté l’autobus qui l’aurait ramené du match des Canadiens au Forum, Daniel Rancourt nous fait sentir la détresse et la solitude non seulement d’un provincial mais de toute une faune nocturne montréalaise. Voilà un film qui ne manque pas de punch et dont les personnages, simples silhouettes, n’ont rien de caricatural.

Ce qui n’exclut pas que la caricature soit parfois justifiée. Dans Elvis Gratton, par exemple, le court métrage de Pierre Falardeau et de Julien Poulin, efficace dans sa description d’un fan d’Elvis Presley mais supportant mal un second visionnement. Alain Chartrand recourt lui aussi à la caricature dans On n’est pas sorti du bois. Mais le discours écolo de son personnage principal (superbement interprété par Pierre Curzi) se trouve aussitôt dénoncé par sa petite amie grâce au montage parallèle des commentaires de la fille. Ce film souligne un trait caractéristique de la production récente: le granola trempé dans le sirop d’érable qui dégoulinait sur notre cinéma encore récemment a été relégué aux oubliettes. Il était temps!

Toujours dans la même catégorie, il faut souligner l’économie de moyen d’un petit film comme Pêcheur d’eau douce de Roger Cantin et Danyèle Patenaude, entre parenthèses réussi, par opposition aux extravagances de Réveillon de François Labonté dont la réussite est inversement proportionnelle aux moyens mis en œuvre.

J’aimerais également signaler le travail de Jacques Méthé, François Dupuis, Serge Denko, Roger Frappier, Michel Bouchard et René Brodeur dont les essais dans le domaine de la fiction préfigurent une relève longuement attendue.

Du côté du documentaire, je reste encore sous le choc de La Bête lumineuse de Pierre Perrault (dont je reparlerai bientôt). On peut revoir avec plaisir le superbe Marie Uguay de Jean-Claude Labrecque. D’autres entreprises non dénués d’ambition m’ont toutefois paru quelque peu discutables.

C’est le cas notamment du long métrage de Yolaine Rouleau et Jean Chabot, Le Futur intérieur, et du moyen métrage de Jacques Leduc, Albedo, l’un souffrant peut-être d’un manque d’idée directrice, le second d’une certaine prétention moderniste fort discutable.

L’espace me manque pour souligner tous les films dignes d’intérêt. J’en signale quelques-uns parmi les inédits des Rendez-vous: Le Cauchemar climatisé de Pierre Forte (sur les prisons). Les Candidats de Claude Laflamme (sur les coulisses du hockey amateur), La Passion de danser de Diane Létourneau (sur la danse, of course) et Jean Saint-Germain... Illimité de Richard Lavoie (sur un inventeur).

Non, le cinéma québécois ne manque pas d’inventeurs. Il manque seulement le cadre pour mettre en valeur toutes ces réussites. On y travaille.

 

La Presse, samedi 9 octobre 1982, p. C14 (voir le PDF)
© La Presse, 1974

 

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