Association québécoise des critiques de cinéma
L’OMBRE ET LE RAYON LUMINEUX
par Yvan Lamonde
Photo : La Presse
J’ai connu Luc par le journalisme, le journalisme étudiant. Responsable de L’estudiant au Séminaire de Joliette vers 1963, je devais courir des textes. J’accostai Luc un bon jour et il me promit un texte, qu’il glissa bientôt sous la porte du local du journal. Alors que je m’attendais à quelque indignation étudiante ou à quelque appel à quelque changement, c’était un conte ! Rétrospectivement, Luc était tout cela. Là où on ne l’attendait pas, là dans un monde et une manière à lui.
Pour qui voudrait connaître cet univers culturel des collèges classiques, il est possible de visionner le film Collège contemporain, que Pierre Patry a produit à l’ONF en 1960. Ce collège contemporain, « dans le vent », était celui de Joliette où le père Fernand Lindsay enseignait la philo, le père Wilfrid Corbeil, l’âme du futur Musée de Joliette, se faisait le prosélyte de l’art – les Borduas et les Lyman dans la nouvelle bibliothèque ! - et où les Alouettes de Montréal tenaient leur camp d’entraînement de pré-saison.
On n’attendait pas Luc à La Presse, lui qui faisait des études de philosophie à l’Université Laval. Un emploi d’été pour étudiant l’y attira et Jean-Claude Dussault, chef de pupitre de la section Arts et Lettres, l’orienta peut-être vers le cinéma. Sa bibliothèque de cinéma gonfla d’année en année, d’abord dans la vieille maison canadienne qu’il habita avec Lucille Beauchemin au Rang du Point du Jour à L’Assomption et plus tard sur la rue Notre-Dame.
L’homme parlait bas. Lentement. Par allusion. Il écoutait davantage qu’il ne parlait. L’ombre et le silence des salles de cinéma lui allaient parfaitement. Sa pensée et son écriture avaient quelque chose de ces salles : un rayon lumineux bien dirigé dans l’ombre sur l’écran de papier. Les feux de la rampe, peu pour lui. Loin du vedettariat, lui qui m’avait dit avoir eu une entrevue mémorable de deux heures avec Isabelle Hupert. Il savait, pour qui pouvait deviner, aller au cœur des choses.
C’est ce que retenaient les lecteurs de ses critiques. Les amis qui m’en parlaient. Une justesse sans éclat dans le propos. Peut-on dire qu’on peut se fier à un critique avant d’aller voir tel ou tel film? Ces lecteurs et amis le pensaient et n’étaient pas déçus. L’art de la pondération. Pas facile. Le risque de la mièvrerie est toujours là; Luc savait y échapper.
L’homme était discret. Il savait parler de tel sujet à tel moment, et de telle façon. Luc avait sa manière d’agir par les mots, de faire avancer des choses.
Lecteur insatiable, il nous surprenait, Micheline et moi, à déposer un jour sur sa table de lecture les œuvres de Saint-Simon dans La Pléiade; un autre jour, c’était les bons mots de Churchill ou ceux de Woody Allen ou un ouvrage récent sur le cinéma japonais.
Il a laissé un corpus de critiques sur plus de 25 ans qui diraient à un étudiant en communications et en cinéma ce que furent les a priori culturels d’une génération, ce que sont les critères de la critique infléchis par un code culturel.
Luc a voulu mourir chez lui. C’était encore et toujours lui. Alors qu’il était comateux, je me suis surpris à lui conter doucement mon excursion récente en Gaspésie. La mer, le soleil, le vent, le bleu du ciel, les monts, ce que nous avions vu et que je lui narrais et qui était vu comme du rétroviseur. Comme la dernière image d’un film. Pour qu’il parte et aille de l’avant, lumineux.
Yvan Lamonde
29 juillet 2017
Yvan Lamonde
Historien, Université McGill
Professeur d’Histoire du Québec et du Canada à l’Université McGill, Yvan Lamonde a connu Luc au Séminaire de Joliette et l’a fréquenté, ainsi que sa femme, Lucille Beauchemin, sa vie durant, y compris lors de passages de Luc à Paris ou à Cannes. Il « alla aux vues » assez souvent avec le critique de cinéma. Ils eurent ensemble de bons moments de discussion et de fous rires.
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