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Association québécoise des critiques de cinéma

Hommage à Luc Perreault : Le parc des salles de cinéma. Silence, on ferme!

LE PARC DES SALLES DE CINÉMA

Silence, on ferme!

par Luc PERREAULT

 

Photo : La Presse

 

Les spectateurs s’étaient déguisés jeudi soir pour célébrer l’Halloween au Séville. La projection de Rocky Horror Picture Show représente une tradition dans cette salle de l’ouest de la rue Sainte-Catherine. C’est bien fini maintenant. Sitôt après cette projection, le cinéma fermait ses portes. Définitivement. La semaine précédente, sans tambour ni trompettes, une autre institution vielle de 23 ans, le cinéma de la Place Ville-Marie, avait posé le même geste.

Ces fermetures en douce de salles de cinéma sont devenues monnaie courante au Québec depuis quelques années. La percutante étude de Michel Houle publiée cet été dressait le triste bilan de la situation. Entre 1974 et 1985, nous apprenait cette étude, le nombre d’écrans au Québec est passé de 371 à 286, soit une diminution de 22p. cent.

Il est ici question, notons-le bien, d’écrans et non de salles. Le phénomène de la diminution du parc des salles durant la période déjà mentionnée a en effet été en bonne partie tempéré sinon maquillé par la transformation, durant la même période, des salles survivantes en complexes multisalles.

Analysée en fonction des salles, l’étude de Michel Houle prend des allures encore plus inquiétantes. Il existait en effet 345 établissements cinématographiques en 1974 contre seulement 177, onze ans plus tard. La perte, cette fois, n’est plus de 22p.cent mais bien de près de 50p.cent.

Même à Montréal

Jusqu’ici, le mouvement s’était surtout concentré dans les salles de quartier ou de province. On peut donc s’étonner que le phénomène frappe désormais au coeur même de Montréal, dans l’artère jugée vitale de la rue Sainte-Catherine.

Un porte-parole des Cinémas Unis dont plusieurs salles du centre-ville ont fermé leurs portes ces dernières années déclarait cette semaine ne pas s’inquiéter outre mesure de cette situation. Interrogé sur la disparition des deux salles de la Place Ville-Marie, M. Don Drisdell tenait des propos rassurants.

« Nous avons toujours programmé ces deux salles avec des films d’un caractère plus particulier, faisait-il remarquer. Ce genre de film est devenu une rareté dans le marché anglophone. L’assistance dans ces deux salles ne cessait pas de baisser. Comme le bail que nous avions avec la Place Ville-Marie arrivait à échéance, nous avons décidé de ne pas le renouveler. »

Le circuit Cinémas Unis compte 22 écrans dans le centre-ville encore réservés à une programmation en anglais. Par opposition, son parc de sales destinés à des films en français se limite à sept dans le même secteur, c’est-à-dire les cinq du Parisien et les deux de l’Élysée. (Le Capitol, à l’est de la rue Sainte-Catherine, ne présente pratiquement que des films en anglais).

À ces salles, il faut prévoir l’addition de deux nouveaux écrans, actuellement en construction dans le projet Faubourg Sainte-Catherine, justement à proximité du Séville qui vient de fermer ses portes. Prévue pour cette année, l’ouverture de cette salle a toutefois été repoussée à l’automne 1986. Le circuit Cinéplex Odéon logera quatre nouveaux écrans à la même enseigne.

Ça rénove en grand!

On peut se demander si les salles encore en activité seront en mesure de résister à cette vague de fermetures. Ces dernières pourraient-elles n’être que le tribut à payer pour rajeunir notre parc de salles? D’une façon plus lapidaire, qu’est-ce qu’une bonne salle de cinéma au Québec en 1985?

Pour tenter de répondre à cette question, il faut faire une tournée des salles récemment rénovées. L’Outremont, par exemple, déjà équipé en stéréo Dolby 35mm, s’est donné cet été une nouvelle toilette en changeant tous ses fauteuils. De leur côté, les circuits Cinémas Unis et Cinéplex Odéon sont en voie de généraliser l’usage du système stéréo Dolby dans pratiquement toutes leurs salles.

Les cinémas Unis comptent déjà dans la région de Montréal sept salles équipées en 70mm Dolby en plus d’une douzaine en 35 Dolby. Odéon prévoit avoir complété d’ici 1987 la transformation de toutes ses salles, au moins en 35 Dolby et se débarrasse en douce de ses équipements Kintek. Quatre salles de ce circuit sont présentement équipées en 70 Dolby et neuf sont dotées de 35 Dolby.

Quant aux propriétaires indépendants, après des décennies d’inertie, ils viennent presque tous ensemble de se lancer dans une vague endiablée de rénovations. Ça rénove en grande à Joliette, à Sainte-Adèle, à Lévis, à Drummondville et ailleurs.

La raison de ce branle-bas s’explique sans doute par un nouveau programme mis sur pied par la Société générale du cinéma. Ce programme destiné aux entreprises québécoises a été littéralement pris d’assaut. Selon Robert Meunier de la SGC, 28 salles ont pu bénéficier de ce programme et la SGC leur a versé $750 000 dans les douze derniers mois. L’organisme québécois s’engage à défrayer jusqu’à 50p. cent des projets qui répondent à ses propres critères, avec un maximum de $70 000.

C’est en grande partie grâce à ce programme qu’une nouvelle salle a pratiquement vu le jour dans trois villes différentes du Québec, le 10 octobre dernier.

À Montréal, c’était le Milieu, l’ex-Verdi, qui avait été rebaptisé il y a quelques années le New Yorker. À Sherbrooke, on inaugurait la Maison du cinéma dans ce qui s’est déjà appelé le Capri. Enfin, à Victoriaville, on procédait là aussi en grandes pompes à l’inauguration du nouveau Laurier.

Salle tout usage

J’étais à l’inauguration du Laurier. L’ex-ministre des Affaires culturelles, M. Clément Richard, s’y trouvait également de même que toute une brochette de représentants du monde du cinéma. On a pu juger de visu de la qualité de ce nouvel équipement par la projection en première à Victoriaville de la Carmen de Rosi.

Les caractéristiques du nouveau Laurier ont de quoi épater le cinéphile le plus exigeant. D’abord, l’intérieur a été complètement refait, redécoré et doté, notamment, d’une « piste d’atterrissage » lumineuse qui guide les spectateurs dans les deux allées du cinéma. De nouveaux fauteuils plus confortables et plus dégagés ont remplacé les anciens, faisant passer la capacité de la salle de 730 à 692 places.

Par ailleurs, on note la présence d’un nouvel écran ultra-moderne avec cadre transformable. Côté sonore, on peut désormais compter sur un système Dolby 35mm complet avec sa douzaine de hauts-parleurs répartis tout autour de la salle. Pour compléter le tout, un nouveau lobby plus accueillant a été aménagé.

Les transformations du Laurier feraient l’orgueil de tous les propriétaires de cinéma du Québec. Paul Gendron en est particulièrement fier. La transformation et la nouvelle toilette de sa salle représentent des dépenses de $250 000. À lui seul, le système Dolby a coûté $50 000.

Pour ce propriétaire de cinémas, l’exploitation cinématographique dans une ville de la taille de Victoriaville ne répond pas aux mêmes critères qu’une salle équivalente dans le centre-ville de Montréal ou de Québec. Il lui apparaît, par exemple, impensable de programmer uniquement des films au Laurier. Figurent donc aussi au programme des spectacles de variétés et des pièces de théâtre. À ces différents services doit s’ajouter, selon lui, la présence d’un vidéoclub. Le sien existe depuis quelques années déjà et ses opérations se font instantanément grâce à l’utilisation du code numérique. À l’étage supérieur du cinéma loge un ordinateur qui, en plus d’enregistrer l’ensemble des transactions, permet de dresser une foule de statistiques intéressantes sur les cassettes en circulation.

« D’après moi, soutient Gendron, les cinémas comme le mien devront se transformer en centres comme le Laurier. Il va falloir inclure les spectacles et la vidéo à ces centres. On ne peut pas sortir de là. »

Il caresse même le projet d’adjoindre deux mini-salles de cinéma au Laurier de même qu’une salle réservée uniquement au théâtre. Quant à la participation de la SGC à la rénovation du parc des salles, il estime qu’elle devrait passer à $1,5 million par année pour répondre à la demande.

« Que le gouvernement nous aide à mettre des équipements en place, dit-il, et après, on va s’arranger. »

On a envie de crier bravo devant cette effervescence. Mais, quand on songe à la vitesse avec laquelle notre parc de salles est en train de fondre, on peut se demander si toute cette vague de rénovation n’arriverait pas un peu tard.

 

La Presse, samedi 2 novembre 1985, p. E18 (voir PDF)
© La Presse, 1985

 

 

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