Association québécoise des critiques de cinéma
Photo : Annabelle Moreau
Ralph Elawani est journaliste indépendant. Auteur d’une biographie de l’écrivain et cinéaste Emmanuel Cocke et d’un essai sur la contreculture au Québec, Les marges détachables, il a aussi collaboré à plusieurs ouvrages collectifs, dont Bleu nuit : histoire d’une cinéphilie nocturne, Satanic Panic : Pop-cultural paranoia in the 1980s, L’ère-seconde et Yuletide Terror. On peut régulièrement l’entendre à la radio et le lire dans 24 images, Le Devoir, Lettres québécoises et Liberté, ainsi que sur les plateformes web de VICE Québec et de Spirale. Il termine présentement une maîtrise qui porte sur le cinéma underground québécois et le discours littéraire contre-culturel.
Quel est votre premier film marquant?
Le premier film qui m’a dérangé, au sens littéral de « me sortir d’où j’étais rangé », a été The Devils, de Ken Russell. Je l’ai vu à la télévision, à l’âge de 9 ou 10 ans. Constater l’assiduité avec laquelle un inquisiteur remue le vomi d’une nonne pour y trouver des traces du Malin m’est resté en tête. « Oh, tiens, un bout de carotte. » Il y a sans doute une connexion subliminale avec le fait que mes parents m’ont donné le prénom d’un prêtre de la série Les oiseaux se cachent pour mourir [The Thorn Birds]. La scène du film de Russell me parle encore beaucoup aujourd’hui, lorsque je vois de grands moralistes déchirer leurs ponchos ou s’arracher le piercing du septum parce que la moindre broutille pourrait offenser quelqu’un; l’impression de se donner bonne conscience à peu de frais, tout en faisant l’économie d’un réel effort intellectuel… le réflexe délateur, tribal, inquisiteur, etc.
Sinon, il y a Kanesatake : 270 ans de résistance, d’Alanis Obomsawin. Il s’agit du premier film que mon père s’est procuré, en VHS. Sa place spéciale tient du fait qu’il trônait dans une armoire qui m’était inaccessible. C’est très psychanalytique, cette fixation. Un phénomène analogue se produisait devant les films d’horreur ou la section pour adultes des clubs vidéo. Enfant, lorsque tu vois de grosses vidéocassettes exhibant des corps disproportionnés, ou des boîtiers choquants/intrigants, comme Faces of Death, tu sais d’avance que tu es censé manger ta molle au bar laitier et non dans cette section…
Quelle est votre première critique publiée?
Je crois qu’à l’âge de 4 ou 5 ans, j’ai dit à une journaliste de Radio-Canada que la fête du Canada était « bien l’fun ». En arrivant à Montréal, ce que je voulais faire, c’était éditer un fanzine. J’ai eu des plans, l’espace d’environ un mois, entre autres avec le cinéaste Pierre-Luc Vaillancourt, qui travaillait au club vidéo à deux pas de mon appartement. Rien ne s’est concrétisé. Par la suite, j’ai tenu une chronique hebdomadaire assez raboteuse dans le journal étudiant de McGill.
Quel est le rôle du critique de cinéma, selon vous?
Son rôle fondamental est de rendre visible ce qui ne l’est pas. D’ouvrir une brèche. Aimer ou ne pas aimer, tomber dans le versant émotif, tout le monde peut faire ça. « Si je t’aime, est-ce que cela te regarde? », disait Nietzsche. « Appelle ça comme tu veux, moi j’appelle ça de l’amour », d’ajouter Pierre Bertrand.
Quel est votre rituel d’écriture?
Relire/déchiffrer les bouts de papier dans mes poches. Tenter d’être interpelé par quelque chose qui va m’orienter, me permettre d’ouvrir une brèche, qui elle permettra à son tour d’aborder une question spécifique. L’écriture est une pratique souffrante. Et le travail de l’intellectuel, en un sens, est de ralentir le monde. Combinez ces deux idées et ça devient masochiste.
Qui est votre critique ou théoricien de cinéma préféré?
La personne qui a eu le plus d’influence sur ma vision du cinéma est sans doute Kier-La Janisse. Elle a eu une influence directe. Nous avons travaillé ensemble, nous nous sommes disputés, nous avons ri. Tout le bataclan. C’est une femme brillante qui a des goûts hyperciblés, une intelligence caustique et une instabilité inquiétante, qu’elle a documentée dans House of Psychotic Women. Il y a un petit quelque chose de Pauline Kael dans le tranchant de ses opinions et son affront envers certains intouchables. Je suis certain qu’elle dirait que je n’ai pas raison, mais c’est sans importance.
Sinon, j’aime beaucoup J. Hoberman. Il y a aussi Amos Vogel, dont le livre Film as a Subversive Art m’a servi à l’université. Plus près de chez nous, il y a Marcel Jean, surtout en ce qui a trait à son intérêt pour l’histoire des idées et de la critique. Je suis aussi heureux de voir qu’Helen Faradji est maintenant bien payée par Radio-Canada pour faire ce qu’elle sait faire. C’est précieux ce monde-là, faut en prendre soin. J’aime aussi l’idée d’avoir une équipe bigarrée (jeunes et vieux) à 24 images. Ça vous apprend la modestie. Tout le monde veut avoir une opinion sur quelque chose, ces jours-ci. C’est un privilège, ça, donner son opinion…
Dans quel film aimeriez-vous vivre?
Downtown 81 pour la musique d’ambiance, Rock n Roll High School pour l’enthousiasme, The Fountainhead pour les fenêtres du salon, The Graduate pour le bar, les Jetsons pour la voiture et la série Lancelot Link pour la bonne compagnie.
Quel cinéaste voudriez-vous inviter au cinéma?
J’ai été assis durant 3h à côté de Kenneth Anger, sans m’en rendre compte, à l’American Cinematheque, lors d’un programme double Carnival of Souls et Freaks, il y a quelques années. J’ai aussi eu l’occasion de fumer du jute avec Jeff Lieberman, avant une projection de Blue Sunshine. Il m’a parlé de la fois où on lui a remis des centaines de milliers de dollars pour qu’il écrive une suite à je ne sais trop quel « sequel » de L’histoire sans fin. Je vais laisser la chance aux autres.
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